L’identité numérique sous emprise culturelle

Roch Delannay

2025-02-19

Plan de la séance

Les RSN, une technologie culturelle
Les stéréotypes identitaires
Modèle de l’identité numérique

1. Les RSN, une technologie culturelle

utilisation de standards de communication
homogénéisation de la représentation de soi
prolifération de données personnelles

Ces points là ne sont pas nouveaux pour nous et permettent de résumer ce que nous avons vu lors des séances précédentes.

Sur le Web, nous produisons des traces qui servent aux plateformes pour reconstruire nos profils (qui constitue une sorte de fichage) :
- l’identification est un élément central associant une série d’informations à un individu ;
- la logique d’identification transforme des êtres humains en chiffre et a une conséquence d’ordre philosophique : elle construit un régime du comparable entre les individus;
- les identifiants font office de matricule qui relient des pages Web à des individus, transformation ontologique des individus en chiffre,
- sur la plupart des plateformes, seuls les individus identifiés peuvent s’exprimer, de cette manière la plateforme préfabrique la mise en scène de l’identité;
- l’identité est construite à la fois par les plateformes (architextes, gabarits) et par les utilisateurs : il y a donc une articulation entre standardisation et personnalisation.

2. Les stéréotypes identitaires

modèle de la représentation de soi
modèle de l’identité numérique
métaphore du profil

À partir du ce constat, placé sous le drapeau de l’homogénéisation des formes de communication et de présentation de soi, Fanny Georges emploie la notion de stéréotype pour qualifier l’identité numérique. Ce que nous devons en comprendre, c’est le fait que certains composants de l’identité numérique en ligne (par exemple le nombre d’amis sur un RSN) sont des indicateurs de stéréotypes sociaux.

La notion de stéréotype permet d’analyser le rapport de l’individu à l’autre et à soi, ou les relations entre les groupes et les membres individuels. Née de l’imprimerie et donc issue de la culture de la reproduction, la notion de stéréotype est utilisée dans le langage commun dans une acception péjorative (une idée « à l’emporte-pièce »), et en sciences sociales, dans une acception neutre (Amossy et Herschberg, 2010). Le stéréotype entre dans les mécanismes fondamentaux de construction des connaissances ; la catégorisation est un processus psychologique fondamental relié à la problématique des perceptions et relations intergroupes (Bourhis et Leyens, 1999). Produit d’une réduction d’information, le stéréotype est une médiation qui permet de comprendre quelque chose de nouveau par l’intermédiaire d’une représentation simplifiée : sa dimension sociale est arrimée à sa dimension technique.

Pour analyser ces stéréotypes identitaires, F. Georges scinde l’étude en trois approches complémentaires :

modèle de la représentation de soi
modèle de l’identité numérique
métaphore du profil
Le modèle de la représentation de soi correspond aux liens tissés entre le monde social et soi, c’est-à-dire aux signes choisis pour à la fois montrer l’appartenance à un certain monde communautaire par la revendication valeurs particulières (et du fait de s’y inscrire/authentifier) et à la fois le choix de certains signes qui permettent de s’en distinguer (afin de créer une différence, une forme d’individuation, vis-à-vis d’une communauté).

3. Modèle de l’identité numérique

identité déclarative
identité agissante
identité calculée

Toujours selon F. Georges, le modèle de l’identité numérique se décline en 3 types d’identité :

l’identité déclarative est celle qui est déclarée/saisie par l’usager
L’identité agissante est constituée des messages répertoriant les activités de l’utilisateur par une initiative du Système. Elle est liée aux deux autres dimensions de l’identité numérique. Ainsi, les événements notifiés dans le mini-historique de Facebook peuvent être consécutifs de la modification de l’identité déclarative : par exemple « X a mis à jour son profil » signifie que l’utilisateur a modifié sa photographie ou ses informations personnelles. Les événements notifiés peuvent provoquer un changement de l’identité calculée : par exemple « x et y sont désormais amis » signifie que le « nombre d’amis » a augmenté d’une unité. Cette fonctionnalité apparaît dans Facebook dans le «mini-historique » du profil public pour ce qui concerne les activités du propriétaire du profil (cf. figure 3) ; dans la partie privée figure une compilation des activités de tous les « amis » du propriétaire du compte ; en résumé, en haut de cette dernière page, se trouve une petite boîte qui informe le sujet du nombre d’utilisateurs qui l’ont demandé comme amis, qui l’ont invité à rejoindre un groupe, ou encore à utiliser une application. L’historique compilé des activités des « amis » rend visibles leur activités sociales en ligne (« x a envoyé un cadeau à y », « x a été tagué par y » ou encore « x a été recommandé par y » dans Linkedin). Ce faisant, ils suggèrent des relations entre les utilisateurs, qu’elles soient pure coïncidence (« S., C., S., V. ont changé leur profil ») ou réelles, ce jugement étant affaire du sujet interprète : « M., V. et T. ont été convertis en vampire » signifie-t-il qu’ils jouent ensemble ? Ces notifications, en compilant les activités de la communauté des « amis », incitent à interpréter leur comportement selon des règles qui dépendent entièrement du Sujet.
Contrairement à l’identité déclarative, et tout comme l’identité agissante, l’identité calculée n’est pas renseignée par le sujet ; à la différence de l’identité agissante, elle est le produit d’une interprétation quantifiée. L’identité calculée se compose de variables quantitatives ou qualitatives (fondées sur des paramétrages chiffrés) produites d’un calcul du Système. Les variables quantitatives sont exprimées en chiffres : nombre d’amis, score, classement. Les variables qualitatives désignent par exemple la mention « utilisateur indisponible », paramétrée dans MSN après 15 secondes d’inactivité au clavier, mais aussi la mention binaire de la présence (utilisateur « en ligne »/« hors ligne » dans Myspace ou Facebook).

Conclusion

L’emprise culturelle peut être définie comme l’influence du dispositif sur la représentation en pensée. En s’appuyant sur Lakoff& Jonhson, F. Georges en déduit qu’en interagissant avec le dispositif, l’utilisateur fait expérience de l’environnement virtuel, et cette expérience structure en retour sa représentation du monde.

L’identité agissante et l’identité calculée servent alors de composants sur lesquels se fondent les stéréotypes identitaires et sociaux. En conséquence, le choix de la représentation sur une plateforme ou une autre détermine le schéma de construction de l’identité numérique.

L’adjectif « numérique » renvoit non seulement à la mise en chiffre de l’individu (ce que nous avons vu dans les précédents cours) mais également à la génération de nouvelles informations, toujours sous forme numérique, produites par les algorithmes.

Les usager.e.s (et sujets) sont, dans cette perspective, poussés à produire toujours plus de données pour alimenter les stéréotypes identitaires. Pour y arriver, les plateformes se saississent de la capacité du web à traiter de l’information en temps réel pour promouvoir un découpage temporel très fin où chaque instant devient la source d’un contenu pouvant s’aggréger à une identité, ce qui vient alimenter à la fois les identités agissante et calculée mais aussi les bases de données des plateformes sur lesquelles reposent leur modèle économique.